<h1>Noelfic</h1>

[Confédération] Désynchronisés


Par : Gregor

Genre :

Status : En cours

Note :


Chapitre 1

1

Publié le 04/11/24 à 10:11:55 par Gregor

Le zinc du comptoir tirait sur la fin de vie. Çà et là, une patine dorée constellait sa surface, comme autant de tâche de vieillesse. Une chope de bière locale tomba dessus avec un bruit net, brutal.
— Patron, une autre ! éructa une voix rauque.
L’odeur de friture commençait à envahir l’espace du drugstore. D’un seul coup, la devanture extérieure s’alluma, rouge et puissante. Dehors, rien ne changeait : le béton brûlé de l’astroport et sa cohorte de vaisseaux dépareillés, les bâtiments usés de la douane locale, et en fond, le désert rocheux, infinis et flamboyant dans le lent crépuscule de cette planète. A l’intérieur, les tables qui longeaient la vitrine prirent un aspect surréaliste. L’éclat du néon se reflétait non sans élégance sur l’une des épaules métalliques d’Auric. Devant lui, un verre de whisky semblait l’inviter à se laisser aller, encore un peu.
Ni la poésie de l’éclairage, ni l’odeur alléchante de viande de cuve grillée, ni même le gout âpre et houblonné d’un mauvais brandy local ne l’attirait à cet instant. Auric n’avait pas le temps pour ça. Toute son attention se portait sur un des hommes attablés au comptoir. Ce dernier prenait un soin intriguant à se dissimuler sous l’indiscrétion d’un chapeau de cuir, copie de modèles antiques de la Vieille Terre.
Auric avait attendu, trois jours durant, dans ce bouge minable, que la chance veuille bien tourner. L’information semblait crédible, au début. Il avait patienté. Et la bonne affaire s’était transformé, à ces yeux, en tuyaux percé. Jusqu’à ce que, dix minutes auparavant, l’inconnu mal déguisé ne rentre ici.
Auric faisait mine de ne pas s’intéresser à l’homme. Mais ses senseurs étaient ouverts à fond. Il écoutait, enregistrait, et analysait toutes les informations qu’il recevait à cet instant. Ses implants tournaient à fond ; il ne voulait pas laisser passer sa chance.
L’homme avait commandé une bière, et n’y avait toujours pas touché. Oh, bien sûr, il portait comme il se devait la pinte à sa bouche. Mais le niveau restait invariablement le même. Un détail qui avait fini de convaincre Auric qu’il s’agissait bien de son homme. Gregorius Clade, pirate notoire bourlinguant dans l’Aurea Nebulla, rançonnant les équipages et pillant les vaisseaux qui passaient à sa portée. Gregorius Clade, dont la tête mise à prix valait un petit pactole. Gregorius Clade, qui avait systématiquement supprimé tous les chasseurs de prime qui s’étaient mis en travers de son chemin.
Auric Wellington connaissait très bien la réputation sulfureuse du capitaine. Voilà des années qu’il arpentait également ce quadrant galactique, et régulièrement, il entendait parler des sinistres méfaits du célèbre brigand. Il n’y avait pas accordé plus d’attention que nécessaire. Jusqu’au moment où sa tête fut à nouveau mise à prix. Et qu’il se sentit suffisamment confiant pour se mettre en chasse.
Kha, dis-moi qu’on a de la chance aujourd’hui. Par pitié.
Toi, on peut dire que tu es verni… Clade est venu à bord d’un cargo sans histoire qui – à priori- est reparti aussitôt son chargement déposé. On dirait bien qu’il n’a même plus d’équipage.
— Tu as sa signature moléculaire ?
Il lui sembla que l’IA souriait, de l’autre côté de la ligne.
Il faudrait qu’il en laisse une, pour faire ce genre de chose. Quand on te dit que la cible est particulièrement intelligente, ce n’est pas une simple image…
— Débrouille toi, mais trouve le moyen de le pister. Impossible qu’il me glisse entre les doigts. Pas après le temps qu’on a passé à le retrouver.
— Il est seul…
— Oui, et bien, justement ! Des occasions comme ça ne se présenteront pas deux fois.
— Et le fait qu’un capitaine se promène sans ses hommes, ça ne te pose pas question ?
— Bien sûr que si. Raison de plus pour agir vite. Dès qu’il sort de là, il faut le coincer. Sans faire dans le sentimental.
— Méfie toi, Auric. Il en a déjà eu plus d’un avant toi.
— Ça, c’est uniquement parce qu’il n’a pas eu à faire à moi.
Je sais très bien que tu aimes beaucoup te vanter de tes compétences parce que tu es un cyborg lourd – et que lui n’est absolument pas mécanisé- il n’empêche qu’au moindre faux pas, il ne te loupera pas. Sois vraiment prudent.
Gregorius Clade appela une des serveuses, et régla son addition. La jeune femme, au chignon aussi stricte que son tablier jauni par la mauvaise lessive, arqua un sourcil.
— Monsieur, votre bière…
— Une urgence mademoiselle. C’est bien dommage, elle est excellente. Cela devient rare sur Nexos VI.
Elle n’ajouta rien. Auric supposa qu’elle avait sans doute appris à ses dépens qu’il fallait mieux ne pas poser de questions lorsque sa clientèle se composait majoritairement d’hommes peu recommandables et aux activités plus que suspectes. Jeter dehors la viande saoule, mais ne pas avoir l’air de fouiller dans les affaires de ces capitaines louches.
Il adressa un beau sourire à la serveuse, partit sans avoir l’air de se presser. Auric, maitrisant son impatience, se hâta avec une lenteur superbe vers la porte. Elle le dévisagea, n’ajouta rien. Il avait payé en arrivant. Si elle imaginait quoi que ce soit entre les deux hommes, elle n’en laissa rien paraitre.
Dehors, la chaleur persistait. Il n’y avait pas de véritable jour, seulement une aube interminable, une heure en plein zénith, et un crépuscule qui ne voulait pas s’achever. Malgré l’air bouffi de poussière irisé par le soleil rougeyoant, Auric n’eut aucun mal à repérer Gregorius Clade qui s’embranchait vers une impasse. Il accéléra la cadence, sûr de son coup.
Il ne pouvait plus lui échapper.
Le bruit sourd d’une turbine antigrav l’alerta, un centième de seconde avant que la roue lumineuse du monogyre le frôle.

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